Clair obscur
Je revois mon psy demain et mon cerveau est une cocote minute.
Je suis en colère contre lui. J’ai beau réfléchir à comment a commencé la crise de vendredi soir qui a duré jusqu’à dimanche soir, je crois que je me leurre un peu en pesant à la cause que j’envisageais.
C’est vrai vendredi soir, j’étais stressée, je devais faire quelque chose qui m’angoissais et m’excitais tout autant - et s’est trouvé devant moi un distributeur.
Je me suis enfilé un paquet de bonbons puis jusqu’à ce qu’il ne reste rien dans mon porte monnaie 3 barres de crunch que j’ai mangé honteusement dans les couloirs cachée.
J’avais un besoin de sucre pour m’accompagner et en même temps il me fallait du sucre parce que je ne pouvais pas me permettre de m’écrouler ce soir-là. Il fallait que je tienne debout, que je tienne le coup.
On est sorti ensuite avec des amis et là, il y avait des biscuits apéritif, j’ai engouffré… J’ai même avalé des chips. Je croyais que je ne me calmerai plus, je mangeais devant et au milieu de tout le monde. Je me détestais et pour me calmer, pour me « punir », pour arrêter ça j’ai mis un bout de pâté sur du pain que j’ai mangé en tournant le dos aux autres pour qu’ils ne voient pas ma grimace.
Je déteste ça, l’odeur et le goût me révulsent. C’est un mélange de toutes les merdes de cochons. Tout les restes les plus ingrats et les crades mélangés à du gras.
Samedi, je voulais continuer, ou peut-être me punir de la veille. C’était la crise ou les coupures, j’ai choisi la crise et à vrai dire je regrette, les coupures font moins mal et ne font pas grossir.
J’ai moins honte de moi après ça, sauf dans le métro quand on est agrippé pour se tenir, la manche qui se relève, des yeux face à votre poignet qui dévient leur regard pour observer votre visage et vos yeux baissés par la gêne.
Dimanche j’avais un manque, un besoin de sucre. Le sucre de la veille appelait le sucre…
Aujourd’hui je réfléchis et je me demande si cette crise, enfin ces 3 jours de crises étaient dus à une première compulsion, la première bouchée qui entraîne le monticule de bouffe ou si c’était une crise à retardement après la consultation vide de sens et forte en émotions, chargée de colère et décevante que j’ai eu mercredi dernier.
Il faut que je lui parle, que je lui dise que son petit coup de provocation était bien trop risqué, trop hasardeux et que je n’avais pas encore la force d’endosser ce genre de réflexion, ni la force de les supporter, de ne pas réagir.
Je ne comprends pas ce qu’il attend de moi.
Je voulais savoir, je voulais entendre : anorexie ?
Voilà, je ne sais plus où j’en suis et je commence à en avoir assez des réflexions par ci, par là, de ces « analyses » débiles que j’appellerais « jugement hâtifs » (pour être polie) venus même du corps médical.
J’en ai assez d’entendre de la part d’amis ou de la famille pourtant au courant de ces problèmes :
« wahou, bravo pour ton régime ! »
« continue comme ça ! »
« mais comment tu fais ? » et le meilleur : « je suis fière de toi »
Marre d’entendre de la part de médecins divers et variés :
« oui, mais faites attention à l’anorexie, vous vous souvenez ? »
« faudrait pas que vous fassiez de l’anorexie non plus »
« dites donc c’est spectaculaire ! bravo ! »
« vous savez, vous craquez souvent, vous pourriez faire de la boulimie »
« mais vous êtes anorexique là »
« vous êtes en malnutrition »
« non, quelle idée, pourquoi vous seriez anorexique ? »
Le couplet de l’anorexique trop grosse pour être anorexique me fatigue…
C’est vrai j’ai pas 12 d’IMC, mais je commence à avoir mal au corps et à la tête.
Assez d’entendre ma mère dire :
« mais qu’est ce que c’est que cette invention encore ? »
« tu t’es jamais fais vomir à la maison voyons ! Je t’ai jamais entendu ! »
« c’est juste une question de fatigue de moral, vas voir un acuponcteur, faut pas croire que tout vienne du cerveau et du mental non plus ! » (celle-là, elle date d’hier)
Et puis les personnes qui me disent que je suis anorexique, la plupart du temps sont elles même anorexiques.
Je comprends ce qu’il se passe, mais je n’arrive pas à l’admettre.
En fait je suis une petite fille capricieuse, une sale gamine à qui on a toujours demandé plus, qui a provoqué avec son comportement alimentaire, une petite fille qui ne sait pas s’exprimer et qui parle avec son corps !
J’ai soif d’une reconnaissance, et je ne sais plus qui je suis, je ne comprends plus rien.
Depuis toute petite j’attends de mes parents qu’ils me disent : « c’est bien, je suis fière de toi » et j’entends tout le temps, même encore hier « oui c’est bien mais… et mais… et… faut faire ça… tu devrais… faudrait plutôt… ».
Me sortir « d’un sens tant mieux si vous mangez peu, vous vivrez plus longtemps », c’était pas très malin de la part de mon psy.
Il y a eu un autre truc, je lui disais que je voulais bazarder ces études que j’avais entrepris juste pour avoir l’air intelligent alors que je me suis ridiculisée, je voulais reprendre des cours mais par correspondance, essayer une autre matière, cette fois quelque chose qui me plaise.
Mon cerveau marche depuis que l’épilepsie n’est plus d’actualité et j’aimerai bien lui donner sa chance.
Je parle à mon psy du fait que j’aimerais faire psy. Je voulais savoir ce qu’il en pensait.
Il trouve ça très bien, il m’encourage, il me demande où j’en suis dans ces démarches. J’ai cru entendre ma mère, c’était juste l’idée pour l’instant.
Il me dit « pressez vous, faites vite, faite le… »
Je lui dis « faite pas ça s’il vous plait, ça me rappelle ma mère qui me met la pression et je voudrais pas avoir le même mécanisme à savoir, ne rien faire justement »
Et il me répond « bon et bien alors ne le faites pas, qu’est ce que vous voulez que je vous dise ? »
Je suis restée blême, en fait je suis restée « sur le cul ».
J’étais toute déboussolée, j’avais l’impression qu’on se moquait de moi.
Je n’ai rien comprit à cette séance, pas reconnu le psy que je connaissais, je baignais dans le flou.
Je ne sais pas quoi faire, quoi dire, comment m’y prendre. Est-ce que je dois lui en parler ? J’ai une telle envie de lui dire qu’il a été assez minable la semaine dernière !
Je n’ai pas la carrure pour supporter d’autres consultations pareilles.
Surtout cette semaine, une copine m’avait proposé un boulot, elle me proposait de la remplacer pendant qu’elle partait en vacances en me disant « tu me sauverais la vie » « en plus une personne en qui j’ai confiance… »
Elle devait me donner les dates. Deux semaines se passent et je vais lui demander où elle en est, si elle a trouvé quelqu’un.
Elle avait fait preuve de tellement d’enthousiasme, de sourires et d’entrain que je n’osais plus lui demander directement comment ça allait se passer, je ne voulais pas avoir l’impression de profiter d’elle. Elle avait l’air tellement convainquant que je pensais qu’elle allait revenir à moi.
Je l’ai vu dimanche, je lui ai demandé, elle m’a répondu qu’elle avait trouvé quelqu’un finalement, c’était bon. Une claque.
Puis m’a dit « comme tu venais plus me demander… »
Et moi en mode automatique : « oui, je suis désolée j’osais pas… »
Et elle : « non, non t’as pas à être désolée, je ne suis pas venue te revoir non plus, j’ai prit quelqu’un d’autre et c’est moi qui t’en ai pas reparlé.. »
Seconde claque…
Et cette diététicienne de Sainte Anne toujours injoignable, toujours absente. J’ai dû appeler une vingtaine de fois hier et aujourd’hui !
Et ce psy qui me stresse !
Et cet endocrinologue que je vais voir jeudi !
Et cette faim qui me tiraille le ventre et ces obsessions qui disent à ma tête de ne pas répondre à mon corps ! Et moi au milieu qui tourne la tête dans tous les sens !