Une bouchée, 15 jours

Publié le par Juliette


Il a suffi d’une barre de crunch un vendredi soir et plus de 15 jours de crises sont apparus.

« Une barre, ce n’est pas grave, juste une, pour tenir debout, allé, ça fait des jours que tu n’as pas mangé !
Et puis il va falloir que tu tiennes debout, tu ne vas quand même pas t’écrouler sur scène comme une bête curieuse, regarde en plus tu es nerveuse, tu pourras jamais chanter dans cet état en plus t’es désagréable avec tout le monde, tu tournes dans tous les sens complètement parano comme une bête qu’on chasserai…
Ca tourne, t’as plus d’équilibre, tes jambes sont légères. »

Est-ce que j’ai des jambes ? On dirait que ma tête flotte et que le corps la suit…
Je n’ai plus de corps, je plane, c’est si bon, et si je continuais ?
Je peux pas, pas ce soir !


« Allé, mange tu remettras ça à demain !! »

Oh, mais juste une barre ça suffit pas, ça marche pas, encore, et puis c’est si bon et ça faisait tellement longtemps…
Non arrête là, tu vas faire une crise !!
Ce que c’est court, ce que c’est bon, il y a à peine 6 bouchées ! Non 2, à l’allure où je vais, on dirait un animal affamé qui fait ses réserves de guerre !!

« Tu manges comme si on allait venir te reprendre la nourriture des mains, comme si on risquait de te voir, de te la voler ! Regarde toi, t’as tout gâché ! Tout ce boulot parti en fumé !
Tu te rappelles pas comme ça a été dur avant de réussir ça !??
Et de quoi tu as l’air franchement ? Tu te cache dans des couloirs et recoins noirs pour qu’on ne te voit pas ! Tu mange à toute vitesse pour être sûre de ne croiser personne !! On dirait un chien qui protège son os !! »

« Mais arrête ! »

Et merde, j’ai plus de monnaie !!

« Mais non tu ne peux pas aller vomir, tu vas devoir chanter dans 10 minutes ! Tu ne peux pas vomir en plus les seuls wc dont tu disposes sont les wc les plus traîtres qui soient sur terre : ouverts en bas, ouverts en haut. Juste de quoi cacher ce que tu fais…
Il y a plein de monde ici, plein de gens passent, et on entendrait, t’as beau être forte pour amoindrir les bruits, tu peux m’expliquer comment tu vas faire pour ressortir sans avoir le visage écarlate et les yeux gonflés ? Et qui se rend aux toilettes les pointes des pieds tournées vers le mur ??
Ah tu pourrais dire que t’as eu peur ! Que t’es malade, après tout c’est un mécanisme naturel, tous les humains vomissement et puis franchement qui comprendrait ? Tu dois faire parti des 2% des personnes à avoir trouvé cette solution, je suis sûre que dans les 98 autres %, 99%  n’ont jamais eu le vice de penser à cette solution !!
Allez, vas-y !!
Mais non, idiote, il y a … Elle t’as vu bouffer, elle a dû comprendre, en plus elle sait ce que tu fais, elle vas te chercher !! Tu préfères prendre 10 grammes ou avoir à faire face à son visage déçu, dégoûté, désemparé et triste ?? Il y a pas que toi !!
Allé, on le garde, de toute façon vomir du chocolat simple à jeun, sans eau, ça va être douloureux, ça va être long et ça tu ne sais pas le faire sans les doigts… Non. »

Puis bien entendu il fallait bien trouver une manière de terminer les choses en beauté et de clore le sujet alors quoi faire ?
Passer sur cette compulsion ridicule de moins de 400 calories ? Oublier ? ou alors se torturer jusqu’au bout et choisir l’option : punition, souffrance ?

Evidemment la deuxième solution a gagné.
15 jours de crises !
Je ne croyais plus que ça s’arrêterait un jour. J’ai pris du poids, peut-être plus de 6 kilos, je préfère ne rien vérifier parce que ça pourrait recommencer. Ca fait 4 jours que je n’ai pas vomi, presque une semaine sans compulsions.
Et dire qu’un seul jour peut suffire.
Avant la première bouchée entraînait une crise, désormais une crise en entraîne une rafale…
C’était moins dur avant, j’étais en meilleure santé, en meilleure forme mais surtout mon corps n’était pas aussi abusé, usé et las.
Cette fois je ne pouvais presque plus vomir, mon corps ne me le rendait pas, c’était de plus en plus dur, de plus en plus bestial, de plus en plus sale et surtout de plus en plus avilissant.
Mon ventre n’avait jamais été douloureux comme ça, j’avais l’impression qu’il se déchirait de l’intérieur.
J’arrêtais, je ne pouvais pas continuer.
Et dire que quand j’ai fait cette découverte magique, je n’avais même pas besoin de m’enfoncer les doigts dans la bouche. C’était si simple, j’ai approché mes doigts sans réfléchir, comme un robot, je n’avais aucune idée de ce qu’il se passait. A peine devant ma bouche, tout est sorti. La vision de ce qu’il se passait a dû être assez efficace.
J’étais aussi surprise que fascinée. Mais qu’est ce qu’il c’était passé ? Qu’est-ce que j’avais bien pu inventer encore une fois ?!
Juste le début de la mort, l’arrivée de la déchéance, j’avais mis un pas dans l’interdit, cette zone corrompue qui promet mille et une merveille et qui n’apporte in fino que la mort de l’âme.
J’avais fait un pas de trop, je visionnais quelque chose de simple, d’ingénieux, de jouissif et en marchant plus loin…


Publié dans Au quotidien

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article