La Timone, octobre 2003

Publié le par Juliette




J’avais « séjourné » dans beaucoup d’hôpitaux, à chaque fois c’était bien, malgré la raison pour laquelle j’y étais, malgré ce qu’on m’y faisait, croyez moi ou non, c’était le pieds.
Un moment de détente, une pause, je pouvais enlever mon masque, arrêter de jouer un rôle, j’étais avec des gens comme moi, plus seule au monde, les infirmières étaient géniales, les brancardiers et aides soignants aussi, même mes médecins étaient super.
Des médecins qui sont déjà là quand vous faites votre premier petit tour le matin avant le petit-déjeuner et qui vous font un signe pour vous dire au revoir à 1h du matin quand vous êtes en train de fumer une cigarette dehors...
On était plusieurs, toujours un moyen de se faire des amis, on jouait aux cartes ou a des jeux de sociétés en bas, dans le coin fumeur, la salle de la machine à café. Toujours quelques personnes en visite...
Avec de la bouffe, les bons gâteaux amenés par les mamans (des autres) qui gâtent leurs enfants qui ne mangeraient sans eux de la nourriture de l’hôpital...
L’hôpital était toujours super propre, nickel...
Puis un jour, après le bilan préopératoire, on m’annonce que, oui je suis opérable mais que l’opération est très dangereuse, ils préfèrent ne pas faire l’opération à crâne ouvert, ils veulent que je fasse un Gamma-Knife.
Le médecin est à Marseille, c’est le meilleur du monde », c’est bien moins compliqué, il s’agit de rayons, c’est moins lourd, ma tumeur est située dans l’hémisphère gauche, en plein milieu du langage...
Ils préfèrent ne pas prendre le risque étant donné les hémorragies que j’avais fait lors des autres opérations.
Je leur en veux un peu, je voulais que tout soit fait tout de suite. J’ai connu plusieurs personnes qui se sont faites opérées à crâne ouvert, je sais où c’est, comment ça se passe, je suis rassurée...
Mais non, c’est trop dangereux, je file à Marseille.
Je vais voir le chirurgien plusieurs fois, il parle un peu comme un homme d’affaire, me vend son opération et se débrouille pour broder et écourter quand on arrive aux « effets secondaires ». Il parle vite, mais a l’air gentil, il le dit, il est le meilleur du monde pour le Gamma-Knife. Je vérifie, je recherche, j’interroge, c’est vrai en plus.

Je m’y rends pour l’opération. Je suis étonnée, ça parle toutes les langues dans la salle d’attente, aucun de nous ne vient de la même ville...
Une journée floue et longue avec IRM et un tas d’autres examens. L’opération a lieu le lendemain.
Cet Hôpital est affreux, un vrai labyrinthe, il ne respire pas le propre comme ceux d’avant, les gens sont pas sympas...
Puis on nous amène dans nos chambres. Bien entendu, on était 7, je crois et il n’y avait plus de place dans le service pour qui ? Pour Juliette. On la pose à l’étage du dessous. Je ne connais pas le nom de ce service.
J’entre dans la chambre et ma voisine me dit bonjour. J’arrête de respirer et je me pince pour voir si je suis en vie.
Un visage déformé. Rien n’est symétrique, c’est Elephant man, elle a pleins de trucs qui lui sortent du visage. Elle me fait peur et je suis gênée, je baisse les yeux, je ne veux pas la gêner.
J’essaie d’être discrète mais elle me parle, elle n’arrête pas de me poser des questions, je dois la regarder, je vais la gêner si je la fuie du regard.
Elle a des bouts de fers vissés sur son visage d’où sortent des tiges en fer et plusieurs cercles autour du visage qui relient les fils.
En gros, elle a comme une espèce d’énorme appareil dentaire, autour du visage, disons que le principe est le même. Les yeux, oreilles, nez et tout le reste n’est pas à la bonne place, pas symétrique, ils lui serrent le crâne pour tout faire se déplacer au bon endroit. Je ne peux pas regarder son regard quand elle me parle, des fils passent au-dessus et elle a une broche dessous.
Je ne savais pas que ça existait, je ne me doutais pas que des personnes naissaient comme ça.

Ouf, les infirmières arrivent ! C’est l’heure de la prise de sang.
On me pose un tas de question, je dis que je n’ai plus mes règles depuis quelques temps, l’infirmière s’excite : « mais vous vous rendez compte, si vous ête enceinte, on peut pas vous opérer !! ». Mais non, c’est normal et puis il n’y a vraiment aucun risque ou alors c’est une grossesse qui date, j’aurai la même durée de gestation qu’un éléphant !!
Elle me lâche pas : « faut faire un test en urgence, non mais vous vous rendez compte !! ». « Mais madame mais je vous jure ha !! ».
L’infirmière triture, elle a pas l’air douée... Elle se plante et hop, une giclette de sang sur mon ventre, tout mon bras, sa blouse et même son visage. Bravo ! Heureusement que ça fait pas mal et que je n’ai pas peur du sang...
Allez, seconde chance : elle y arrive !

Distribution de cachetons : bien entendu, ils n’ont pas les miens, je ne suis pas dans le bon service. Elles ne sont que deux infirmières dans le service et me disent : « vous ne pouvez pas vous en passer pour ce soir ? » Heuuuuu, comment dire ?
Comme elles ne sont que deux, elles ne peuvent pas quitter le service, on m’indique où sont mes congénères bien traités pour que j’aille chercher moi-même les médicaments... J’ai bien fait d’y aller, il y avait des calmants et autres trucs spéciaux pour le lendemain...
Je suis soulagée, je quitte ma voisine un moment, j’attrape mon paquet de cigarettes...
On va bientôt me refiler la Bétadine et tout le reste, je pourrais plus sortir fumer, alors on fait le plein : 3 clopes. Enfin je suis toute seule, sans patients bizarres ou râleurs, juste moi !

Faut remonter, c’est l’heure du repas. Oh pas de plateau pour Juliette, elle ne devait pas être dans ce service, c’est pas le service de la neurochirurgie, il faut qu’elle aille chercher son plateau en haut.
« ça ne vous dérange pas ? je suis désolée, on n’a pas le droit de quitter le service... » Bien sûr que non ça me dérange pas... je reprend mes cigarettes, et retourne en bas, je saute ce repas, c’est toujours ça de gagné !
« oui, c’est bon j’ai mangé avec les autres en haut ...»

C’est l’heure de la douche, il faut que je me récure à la Bétadine, et là je reprends mon souffle car habituellement après la douche vient le plus beau : la petite blouse fermée par une pression derrière le cou...
Et là, on avait droit, aux pyjamas de docteurs, le pantalon vert et le petit pull à manches courtes vert. Comme dans Urgences, comme dans les films ! Ouf, je suis soulagée, j’aurais pas les fesses à l’air.
Pas de douche dans la chambre, donc douche commune.
Super la douche est crade, une bouteille de Bétadine renversée, même pas la place de poser ses vêtements, d’accrocher quoi que ce soit... en gros on pose tout dans le baquet...
Je fais plusieurs étages jusqu’à ce que j’en trouve une propre...
Ah ça gratte, cette Bétadine, on n’a pas le droit de mettre de la crème par dessus en plus...

Et je rejoins ma voisine de chambre, elle parle, son visage me fait peur...

Enfin je m’endors et enfin je me réveille, c’est le jour de l’opération...

C’est le matin, l’opération va avoir lieu, je me prépare, et hop, encore une petite douche à la Bétadine. Ma voisine dort, c’est tant mieux.
Je sais qu’on va être endormis, shootés, je ne veux pas avoir d’hallucinations avec son visage.
Je reviens dans la chambre après la douche, et merde ! Elle est réveillée !
On me fait avaler des cachets qui shootent avant de venir me chercher.
Je plane, un vrai bonheur.
On est assis sur un banc en attendant notre tour dans la salle d’opération. Il y a des bruits très bizarres, mais je n’écoute pas, je parle anglais avec une patiente, enfin j’essaie car il me manque ¾ de cerveau en marche...

C’est mon tour. On m’appelle. Le professeur vient me chercher, il est tout souriant, rassurant, je m’assois sur la table d’opération, et je tremble, le chirurgien m’explique qu’on va me percer le crâne, je n’aurai pas d’anesthésie générale.
Une autre perf et un masque à oxygène, la perceuse s’approche, l’anesthésiste me tient la main, je lui broie complètement, je sens mon crâne qui tremble, le bruit résonne, j’ai l’impression que ça dure 3h, et hop, le trou noir.
On est tous trimballés sur des fauteuils roulants.
Je me réveille avec des douleurs dorsales de fou. Chacun avait son fauteuil grand luxe, avec le dossier qui s’étend et s’allonge et qui avait le fauteuil pourri des années 70 sans appui-tête, le fauteuil de merde en tissus ? C’est Juliette.
Les autres étaient tranquilles, ils roupillaient calés, moi j’étais défoncée, je ne me tenais à rien, mon cou pendait en arrière et sur le côté, j’étais juste assez endormie pour ne pas pouvoir parler et pas assez pour ne pas sentir mon dos, mon cou. J’avais si froid. Je sens un truc bizarre sur mon crâne, ma tête me serre, un mal de tête affreux.
Je touche, je mets un petit ¼ d’heure pour réussir à pouvoir lever les bras jusqu’à ma tête. Beurk, j’avais 4 barres des fers épaisses qui se rejoignaient comme pour former un carré, vissées sur le crâne !!
Trop défoncée, je me rendors.

L’IRM ne suffisait pas, on nous allonge dans un tube bizarre, encore des radios étranges qui durent des plombes.
Enfin à 13 ou 14h, peu importe, on nous remonte dans nos chambre, je peux enfin m’allonger, mettre mon dos et mon cou au repos.
Ma voisine essaie de me parler, je fais semblant d’être trop défoncée pour lui répondre. On a presque la même tête !
On m’amène à manger. Ils rêvent, s’ils croient que je vais bouffer alors que je suis suffisamment shootée pour ne pas y penser !

Un moment d’éveil, je file dans mon sac, prends l’appareil photo, je vais dans la salle de bain, enfin, les toilettes de la chambre, je me regarde, je me prend en photo, devant, derrière, par en dessous, j’ai tous les angles de ma tête bionique !
Je touche, c’est très serré, il y a carrément un creux à l’endroit des visses.
J’ai fait ça à temps, on vient me chercher pour l’opération.

Heureusement qu’on ne m’avait pas prévenu de ça non plus : on visse le « carré » que j’ai sur la tête sur la planche. Je ne dois pas bouger. D’ailleurs je ne peux pas bouger, j’ai la tête vissée sur une planche d’IRM. Et bam, bam, les bruits résonnent, pendant 2h3/4 !
Enfin on me délivre. J’ai adoré cette sensation. On m’a dévissé le tout, je sens ma tête comme une éponge, tout regonfle et revient en place et la migraine s’installe...

Je file dormir, toujours dans mon super fauteuil roulant !

On m’amène mon plateau repas : rictus ! S’ils croient que je vais manger après cette boucherie !!

Et hop, le lendemain rdv avec le professeur pour encore et encore des explications, et je rentre. L’anesthésie m’a chamboulée, je n’arrive pas à parler pour demander mon billet de train, je pleure toute seule dans la gare comme une idiote et quelques heures, me revoilà enfin à Paris.
Je réalise seulement que le chirurgien m’a prévenu que je risquais de faire plus de crises, que c’était normal, à cause de l’opération, c’est le temps que tout se mette en marche.
Ce temps a duré 18 mois, je n’ai plus de vie...






Publié dans Un peu de moi

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D
Quel parcours...je n'ai pas de mots. Pour avoir connu l'enfer des hôpitaux dans mon enfance...l'avantage c'est que je ne savais pas à quoi m'attendre. En tout cas, belle force pour ce combat. Tu as tout à reconstruire aujourd'hui j'espère que tu pourras te fabriquer une vie proche de tes ambitions et de tes rêves. Bon courage à toi. Bises
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